Devenir de rejets de l'aquaculture de crevettes au sein d’une mangrove

La restitution du programme de recherche ZoNéCo « Le devenir des effluents de la crevetticulture au sein des mangroves de Nouvelle-Calédonie » a eu lieu vendredi 23 mars. Luc Della Patrona, chercheur « environnement » à l'Ifremer, impliqué dans le programme, nous fait un point sur le sujet.

ZoNéCo (Zone économique de Nouvelle-Calédonie), c'est quoi ?

En 1991, l'Etat, le Territoire et les trois Provinces de Nouvelle-Calédonie se sont associés aux instituts de recherche, pour lancer le programme multidisciplinaire ZoNéCo. Les objectifs sont de rassembler et de rendre accessibles les informations nécessaires à l'inventaire, la valorisation et la gestion des ressources minérales et vivantes de la Zone Economique Exclusive (ZEE) de Nouvelle Calédonie.

Le projet « Le devenir des effluents de la crevetticulture au sein des mangroves de Nouvelle-Calédonie » proposé et dirigé par Cyril Marchand de l’IRD, a été financé par ce programme et à réuni des chercheurs de l’IRD, du Musée d'Histoire Naturelle de Paris, et de l'Université de Nouvelle Calédonie durant trois ans, permettant ainsi la réalisation d’une thèse de doctorat (2008 à 2011). Les objectifs furent de comprendre quels pouvaient être les impacts des rejets organiques des fermes aquacoles sur les mangroves environnantes (principalement sur la chimie et la biologie des sols).

Pourquoi la mangrove et l'aquaculture de crevette ?

La mangrove représente 75% des littoraux tropicaux. Elle abrite une forte biodiversité animale, elle participe fortement au cycle des nutriments en milieu côtier, elle sert de barrière contre l'érosion et concourt à stabiliser le trait de côte. Elle joue un rôle primordial dans la culture des populations littorales (activités de chasse et pêche, plantes à usage médicinal, palétuviers comme bois de chauffage ou bois d'œuvre). Cependant, avec l'urbanisation, la croissance démographique et l'expansion des activités industrielles, la mangrove disparaît à un taux moyen de 1 à 2% par an dans le monde.

La crevetticulture est une activité économique importante et en plein essor en Nouvelle Calédonie. Elle constitue la deuxième source d'exportation du territoire après le nickel. L'installation des fermes ne se fait pas au détriment des superficies couvertes par la mangrove, cependant, les fermes rejettent chaque jour dans le milieu environnant des effluents (eau des bassins d’élevage) avec des concentrations élevées en particules solides et en nutriments. Les mangroves sont considérées comme des filtres naturels à la fois pour les matières particulaires et celles sous forme dissoute (biblio). Cependant, peu d'études quantifiées se sont attachées à démontrer cette assertion.

En quoi a consisté votre étude ?

Mon approche a été biologique, j'ai procédé à un suivi de l'évolution de la qualité du sédiment à l'aide de la méiofaune. La méiofaune est un maillon essentiel de la mangrove : elle joue un rôle dans le recyclage de la matière par les bactéries et constitue une proie pour les plus gros prédateurs.

Le benthos est l'ensemble des organismes vivants à proximité des fonds des mers, des océans, des lacs et cours d'eau. La méiofaune correspond aux animaux invertébrés et pluricellulaires compris entre 1mm et 42µm constituant le benthos.

J'ai donc réalisé, pendant un an, une étude «contrôle/impact» visant à comparer l'évolution de la composition et l’abondance dela méiofaune dans une zone exposée aux effluents de crevetticulture (ferme FAO) et une zone non impactée (Port Ouenghi). Les prélèvements ont été effectués chaque mois pendant un an dans la zone des petits palétuviers gris ou Avicennia. Nous avons réalisé également trois cartographies de 50 points dans la mangrove à différentes périodes d’activité de la ferme de crevettes. Nous avons analysé divers paramètres et indices afin de mieux comprendre le type de modifications que peut entraîner un apport excessif et externe de substances nutritives dans l’écosystème mangrove (phénomène appelé l'eutrophisation). Si l'eutrophisation est légère, l'impact est évalué bénéfique (gain en diversité et abondance d'espèces) ; si elle est accentuée, on observe un gain d’abondance associé à une perte de diversité et quand on parle d'hyper-eutrophisation, il y a une perte de diversité et d’abondance.

Quelles sont vos résultats et perspectives ?

Les trois campagnes et le suivi annuel ont mis en évidence une modification du compartiment méiofaune sur le site soumis aux rejets crevetticoles par rapport au site témoin. La méiofaune exposée aux effluents aquacoles, depuis plus de 20 années dans ce cas d’étude, possède une abondance, une biomasse, une productivité et une richesse spécifique plus élevées, signe d’une eutrophisation légère. Pour les zones à Avicennia, c’est donc un bioindicateur potentiel de la qualité environnementale. Il serait intéressant de poursuivre l'étude ; tout d'abord avec la même méthodologie sur les mêmes sites (pour confirmer la reproductibilité des résultats), sur d’autres fermes (les rejets ne se faisant pas partout de la même façon), ainsi que sur un transect allant des mangroves au récif.