Etude de l’impact des effluents crevetticoles sur l’environnement littoral
Présentation du thème 3 de l'équipe environnement sur l'impact des effluents des fermes crevetticoles
En Nouvelle-Calédonie, une vingtaine de fermes sont actuellement en activité. Elles sont situées le long de la côte Ouest. On compte aujourd’hui 650 ha de bassins pour l’ensemble du Territoire. Les fermes ont été construites en arrière des mangroves sur des zones sursalées appelées tannes en épousant au mieux la forme initiale du site. La mangrove est peu impactée lors de la construction de l’outil de production contrairement à ce qui a pu être observé dans de nombreux pays producteurs.
Toutefois, les rejets de l’activité crevetticole sont susceptibles d’avoir un impact notable sur l’environnement, notamment en terme d’eutrophisation ou d’envasement des zones environnantes, comme cela a été décrit pour des systèmes d’élevage comparables en Australie, en Asie du sud-est ou en Amérique latine (Lemonnier et al., 2006). La gestion de l’environnement littoral par les services compétents nécessite donc à la fois d’avoir une bonne connaissance de la qualité et la quantité de déchets rejetés par ces mêmes fermes mais aussi la possibilité de suivre le devenir des déchets issus des fermes dans le milieu receveur pour en évaluer l’impact.
En conséquence, plusieurs opérations ont été menées ces dernières années que l’on peut regrouper dans les axes suivants :
Axe 1 : caractériser les effluents et évaluer l’influence des paramètres zootechniques sur la qualité et la quantité de déchets produits et sur leurs devenirs,
Axe 2 : concevoir un modèle prédictif des flux azotés et phosphorés qui prenne en compte les paramètres de gestion des élevages (densité, fertilisants, renouvellement en eau). L’application du modèle devait permettre de déterminer les flux de déchets exportés vers l’environnement littoral en fonction des paramètres de gestion. A terme, l’objectif est de pouvoir contrôler les rejets par la mise en place de normes de production en relation avec la capacité d'assimilation du milieu.
Axe 3 : rechercher les paramètres permettant de suivre le devenir des effluents dans le milieu receveur (eau du lagon et mangrove). Ce travail devait permettre de répondre aux questions suivantes : quelle est l’étendue de la zone concernée par les rejets ? Quelle est la variabilité temporelle de cette étendue en fonction de l’intensité des rejets ?
Axe 4 : estimer l’intensité de l’impact de ces effluents sur le milieu receveur (eau du lagon et mangrove).
Axes 1 et 2
Il a été montré que la densité en d’animaux, les taux renouvellements en eau et les pratiques d’alimentation agissaient directement sur la qualité, la quantité et le devenir des déchets produits par les élevages de crevettes de Nouvelle Calédonie (Martin et al., 1998 ; Lemonnier et al., 2003 ; Martin et al., 2004 ; Lemonnier et Faninoz, 2006). C’est pourquoi un modèle déterministe intégrant les paramètres de gestion (date d’ensemencement, densité, renouvellements…) a été construit afin de simuler les flux d’azote et de phosphore dans les bassins d’élevage (Thomas, 2006). Le modèle a été calibré sur la base de données historiques issues d’expérimentations mises en oeuvre par Ifremer Nouvelle-Calédonie ainsi que sur les informations extraites d’une base de données regroupant les paramètres d’un certain nombre de fermes calédoniennes. Le premier test de validation du modèle a permis de mettre en évidence la difficulté à simuler la croissance phytoplanctonique sur l’ensemble du cycle d’élevage. Il est apparu qu’une meilleure connaissance du fonctionnement de l’écosystème bassin apparaissait nécessaire pour faire progresser ce travail (Lemonnier et al., 2009).
Axe 3
Lors du travail conduit dans le cadre des axes 1 et 2, il a été montré que les effluents rejetés par les fermes présentaient des caractéristiques (charge en MES, phytoplancton, bactéries, matière organique dissoute…) très différentes du milieu receveur. Leur rejet direct est donc susceptible d’avoir un impact sur l’environnement littoral. En conséquence, une opération conduite dans le cadre du programme zonéco (2004-2005) et soutenu par le programme PNEC Nouvelle-Calédonie (2004 - 2007) visait à rechercher des paramètres pertinents, permettant le suivi spatio-temporel des effluents des fermes de production. Ces paramètres ont été recherchés dans la colonne d’eau d’un arroyo situé en baie de Teremba qui reçoit les effluents d’une ferme semi-intensive de grande superficie (133 ha) et dans la baie de Chambeyron qui reçoit les effluents d’une ferme intensive de moyenne importance (30 ha). Au regard des résultats, les microorganismes apparaissent comme des bons indicateurs potentiels de l’état de l’environnement. Aisément identifiés dans les baies en aval des fermes, ils semblent bien corrélés au niveau de la production des élevages (Lemonnier et al., 2009 ; Thomas et al., 2010).
Vues aériennes des deux fermes. (a) ferme La Sodacal (133 ha) ; (b) ferme Pénéide de Ouano (30 ha)
Dans ce travail, il a été montré que le faible hydrodynamisme dans l’arroyo de la baie de Teremba favorisait l’installation d’un système dans lequel la matière organique apportée est dégradée mais difficilement exportée. Cet enrichissement induit une baisse significative du pH et de l’oxygène. La minéralisation de cette matière conduit à la formation de nutriments amplifiant en retour l’eutrophisation de cet écosystème qui à certaines périodes de l’année peut s’avérer sévère. L’enrichissement en azote de cet écosystème contribuerait au développement des populations nanophytoplanctoniques et bactériennes et à terme à une modification structurelle des populations planctoniques. Dans la baie de Chambeyron, il a été montré que l’effet des rejets est limité dans l’espace à 500 mètres après la mangrove et dans le temps à 1 à 2 mois après l’arrêt d’activité de la ferme (Thomas et al., 2010). | Cartes 2D de la fluorescence lors des campagnes du 25 mai 2005 (forte période de production) et du 27 juillet 2005 (hors période de production). Les cartes ont été interpolées à partir de 24 points |
Axe 4
Dans le cadre d’une gestion durable de l’environnement et de ses ressources, il est important que le développement de la filière crevette ne se traduise pas, à terme, par un impact négatif et irréversible sur les écosystèmes littoraux. Il est donc important d’évaluer la pression que les fermes exercent sur l’environnement limitrophe, notamment sur les mangroves (rejets, modification de l’écoulement des eaux pluviales, etc.).
Une première étude menée dans le cadre de Zonéco (2004) a mis en évidence des impacts notables de la crevetticulture sur la mangrove par le biais d’une analyse diachronique de photographies aériennes (Virly et al., 2005). Elle met clairement en évidence une modification de certaines strates végétales tant en superficie qu’en distribution géographique après la construction des fermes.
Une seconde étude conduite dans le cadre d’un programme MOM (2006) a eu pour objectif de dresser un bilan des processus biogéochimiques au sein d’une mangrove et d’estimer l’impact potentiel des effluents de la crevetticulture (Marchand et al., 2006). Ce travail s’est poursuivi dans le cadre d’un projet plus vaste intitulé « Devenir des effluents de la crevetticulture au sein des mangroves de Nouvelle-Calédonie » proposé et dirigé par Cyril Marchand de l’IRD et financé par Zonéco.
Ce programme (2006 – 2011) a réuni des chercheurs de l’IRD, du Musée d'Histoire Naturelle de Paris (MNHN), de l'Université de Nouvelle Calédonie et de l’Ifremer durant trois ans, permettant entre autre la réalisation d’une thèse de doctorat (Molnar, 2011). Les objectifs furent de comprendre quels pouvaient être les impacts des rejets organiques des fermes aquacoles sur les mangroves environnantes (principalement sur la chimie et la biologie des sols).
La contribution de l’Ifremer a consisté à suivre lors de trois campagnes et d’un suivi annuel le compartiment méiofaunique sur deux sites soumis ou non à des rejets aquacoles. Ce travail a permis de mettre en évidence une modification du compartiment méiofaune sur le site soumis aux rejets crevetticoles par rapport au site témoin. La méiofaune exposée aux effluents aquacoles, depuis plus de 20 années dans ce cas d’étude, possède une abondance, une biomasse, une productivité et une richesse spécifique plus élevées, signe d’une eutrophisation légère (Della Patrona, 2012).
Les partenaires scientifiques
- IRD-Nouméa
- MNHN-Paris
- CNRS/UPMC - Observatoire Océanologique de Banyuls/mer
- Université de Nouvelle-Calédonie
- Virly Consultant
- Ifremer La Rochelle (CREMA puis CRELA)