Bivalves filtreurs

Le contexte calédonien :

Le lagon calédonien, avec ses baies profondes, a inspiré les premiers voyageurs qui y voyaient volontiers une transposition de la culture des bivalves filtreurs, comme les huîtres et moules, telle qu’elle se pratique en Europe ou en Asie.

Cependant, il convient de garder à l’esprit que le lagon calédonien présente des caractéristiques hydrologiques sensiblement différentes de celles qui prévalent dans les zones conchylicoles traditionnelles :

  • une température élevée qui oscille entre 21 et 28, voire 29°C dans les fonds de baies ;
  • un environnement globalement oligotrophe, caractérisé par une production primaire faible ;
  • des accidents climatiques répétés, comme les vents, pluies et cyclones.

Le tableau ci-dessous donne, à titre de comparaison, quelques valeurs de la chlorophylle qui caractérisent la production phytoplanctonique du milieu marin, support essentiel de l’alimentation des bivalves filtreurs.

Minimum

Moyenne

maximum

Arcachon (entrée du Bassin)

0,61

1,94

3,23

Marennes-Oléron (sud du Bassin)

0,85

19,70

51,86

Etang de Thau

0,40

3,78

10,15

Nouvelle-Calédonie (Lagon)

0,23

0,45

Nouvelle-Calédonie (Fond de la Baie de Dumbea)

0,30-0,60

> 1,5

Teneur en Chlorophylle-a (micro grammes/litre). Données : Ifremer/Réseau REPHY : Rougerie (1986); Pinazo et al. (2003); Torreton (2003, Communication personnelle)

Ifremer a été impliqué dans des essais d'élevage, comme dans des prospection relatives à des gisements naturels exploitables. On traite ici des espèces suivantes :

  • huître de roche
  • huître de palétuvier
  • huître japonaise
  • moule verte des Philippines
  • palourde japonaise
  • bénitier
  • pectinidés

Huître de roche (Saccostrea cucullata echinata) :

Au début des années 1970, de premiers essais ont été réalisés par Mr Guerlain sur sa concession à la Ouenghi, en s’appuyant sur du captage naturel. Cette technique d’approvisionnement en naissain s’est révélée difficile à gérer, en raison du caractère diffus des émissions de gamètes dans le milieu naturel.
En 1979 et 1980, à partir de naissains produits par l’écloserie de l’IFREMER/Tahiti, une série d’élevages expérimentaux a été menée en Baie de Saint-Vincent (Ouenghi et Montagnès), en poches ostréicoles et en clayettes suspendues. Malgré la quantité importante d’animaux placés en élevage (plus d’un million de naissains), les résultats ont été décevants : croissance lente, et fortes mortalités (40 à 80% la première année, totale sur les lots de la deuxième année).
De 1988 à 1990, 5 sites répartis sur le Territoire ont été ensemencés à partir d’une centaine de milliers de naissains d’huîtres provenant de Tahiti. Ces premiers essais ont montré la possibilité d’obtenir des animaux de taille commercialisable après 18 mois d’élevage. En conséquence, les Provinces Nord et Sud ont décidé de financer une production locale de C. echinata entre 1992 à 1996. La transfert des techniques et ce, malgré le soutien du personnel Ifremer de Tahiti, a été difficile et l’induction des pontes par chocs de salinité a été abondonnée au profit de la scarification. Les premiers juvéniles ont été obtenus en 1994 et ont permis l’ensemencement du site de Bouraké et de Touho. 1995 et 1996 ont permis de fournir encore des juvéniles et d’impliquer d’autres sites notamment à Ouvéa, Malabou et dans l’estrème Sud de la grande Terre et même à Nouméa (Ducos); mais en 1997, aucun naissain n’a pu être produit. Face à ces difficultés de production et au caractère très saisonnier de la ponte de cette espèce (uniquement de janvier à mars), il a été décidé d’interrompre les essais sur cette espèce.

 

 

 

Huîtres de roche : à gauche huîtres en place, au centre naissain, à droite fixation sur support PVC

Huître de palétuvier ( Saccostrea cucullata tuberculata) :

Quelques essais de captage naturel sur lattes de bois goudronnées et chapelets de coquilles, suivis d’élevages, ont été menés dans le Bas-Diahot par l’ORSTOM dans les années 1960.

Les auteurs de ces essais de captage soulignent la difficulté de cette technique, en raison de l’absence de synchronisation saisonnière des émissions de gamètes, nombreuses mais peu abondantes, et par conséquence, de l’obligation d’immerger les collecteurs sur de longues durées.

La croissance en élevage, de l’ordre de 5 à 6 cm la première année, s’est avérée plus lente la deuxième année.

De fortes mortalités ont marqué ces élevages, en raison essentiellement de la variabilité du milieu (crues, dessalures, fortes températures), mais aussi de la présence de prédateurs (vers Stylochus sp., Muricidés).

 

Huîtres de palétuvier sur racines de rhyyzophora sp.

Huître japonaise ( Crassostrea Gigas) :

Espèce de zones tempérées, Crassostrea gigas est présente ou cultivée dans le Pacifique Nord (Japon, Californie, Canada), en Europe, et plus récemment en Nouvelle-Zélande et Tasmanie.

Le premier essai répertorié en Nouvelle-Calédonie sur cette espèce remonte à 1967, avec l’introduction de naissains de C. gigas dans le Diahot en saison chaude, sous l’égide de l’ORSTOM. Essai de courte durée, marqué par une mortalité totale après quelques jours.

Dans les années 70, plusieurs essais ont été entrepris en Baie de Saint-Vincent, sur les sites de la Station d’Aquaculture de Saint-Vincent, de la concession de Mr Guerlain (Ouenghi), et sur la concession de Mr Udave (Montagnès), à partir de naissains importés de Métropole, de Californie ou de l’écloserie de l’IFREMER/Tahiti. Toutes ces tentatives ont été marquées par des croissances faibles et des mortalités importantes au moment du réchauffement des températures à partir d’octobre-novembre. L’exploitation la plus importante (Montagnès) a cessé son activité en 1980.

Depuis 1997, une nouvelle exploitation ostréicole, l’Huîtrière de la Dumbea, s’est installée en Baie de Dumbea, dans un site estuarien bénéficiant des apports de la rivière et de conditions favorables en terme de production primaire. Malgré un contexte naturel difficile et des survies faibles en début d'élevage, cette entreprise dynamique couvre aujourd’hui une grande partie de la consommation calédonienne d’huîtres japonaises. La production s’effectue dorénavant à partir de naissains d’huîtres triploïdes (moins sensibles à l’effort de reproduction en période chaude) importés de Métropole (Charente et Vendée). Un projet d'écloserie est à l'étude qui affranchira cette entreprise de sa dépendance en fourniture de naissain venu de l'extérieur.

 

 

 

Huître japonaise : à gauche; naissain de Crassostrea gigas, au centre; Crassostrea gigas adulte, à droite; élevage en poches sur tables

 

 

Les tables et poches à huîtres du site de l'Huîtrière de Dumbéa, (à gauche à mi marée, à droite à marée basse).

Moule verte des Philippines ( Perna viridis) : 

Cette moule tropicale, largement répartie en Inde et dans le Sud-Est asiatique, présente une croissance rapide dans ses sites géographiques naturels (30 g, 70mm, en 6 mois à compter de la fixation naturelle sur cordes en suspension). Cette espèce a été importée en Nouvelle-Calédonie en 1976 par la CPS. Après quelques essais à Saint-Vincent, elle a été transférée à l’écloserie de l’Ifremer à Tahiti pour la mise au point de la technique de reproduction en captivité. Sur la période 1978-1988, 3 800 000 naissains de 13 à 15 mm, produits à Tahiti, ont été expédiés en Nouvelle-Calédonie pour des essais de grossissement.

De 1978 à 1980, une première série d’élevages a été menée en Baie de Saint-Vincent (Deama, Montagnès, bassins à crevettes, bassins à marée). La période de prégrossissement s’est révélée délicate : survies faibles (de 0 à 35%), 1 g – 23 mm atteint en 8 mois, échec de tous les essais en bassins. Les élevages de grossissement, en poches ostréicoles ou sur cordes en suspension, ont montré des résultats modestes : survies de 20 à 60%, poids moyens de 3 à 6 g atteints en 14-16 mois. Environ 1 tonne a pu être produite en arroyo à la Ouenghi.

Sur la période 1983-1990, les élevages de prégrossissement ont été réalisés en clayettes à circulation forcée à le sortie des bassins à crevettes, permettant d’améliorer les résultats : survies de 20 à 80%, 1 g – 23 mm atteint en 1 à 4 mois. Pour les élevages de grossissement, réalisés sur cordes en suspension, les sites ont été diversifiés : arroyo à Saint-Vincent, lagune de Lindéralique, rivière de Ballade, Bas-Diahot, Ile Ouen. Sur certains sites, des poids de 30 g – 70 mm ont été atteints en 12 mois pour les têtes de lots. Tous les élevages sont affectés par des pertes importantes, liées à la variabilité trophique du milieu et aux accidents climatiques.

En conclusion, ces essais d’élevage se sont caractérisés par des croissances globalement lentes, des pertes importantes de 70 à 80%, et un poids commercialisable atteint en 20-24 mois (prégrossissement inclus), ce qui reste très long comparé aux résultats obtenus dans le Sud-Est Asiatique. Environ une tonne a été commercialisée en Baie de Saint-Vincent, quelques dizaines de kg à Lindéralique, performance minime par rapport à la quantité de naissains placés en élevage.

 

 

A gauche : moules vertes sur corde; A droite : cordes placées sur le site de Lindéralique.

Palourde japonaise

(Ruditapes philippinarum, aussi appelée précédemment Tapes philippinarum, Tapes semidecussatus, Venerupis semidecussata) 

Cette espèce tempérée originaire d’Asie a été introduite en Europe dans les années 1970, et a fait l’objet d’une forte activité de culture en parcs sur estran jusque dans les années 1990, avant qu’elle ne se propage dans le milieu naturel.

A la même époque, en 1978-1979, la palourde japonaise a été introduite à l’Ifremer-Tahiti, dans le cadre d’un programme de testage des possibilités d’élevage de mollusques comestibles, mené en coopération entre l’Ifremer et le Service de la Pêche de Polynésie Française. Plusieurs centaines de milliers de naissains ont été produits à cette fin dans l’écloserie de l’Ifremer-Tahiti et, parmi eux, 627 000 ont été expédiés en Nouvelle-Calédonie entre 1980 et 1984.

En Nouvelle-Calédonie, ces jeunes palourdes, d’une taille comprise entre 2 et 11mm, ont été placées en élevage sur le site de la Ouenghi (presqu’île de Beaupré : concessions Guerlain, Chevalier et Station d’Aquaculture de Saint-Vincent) et sur le site de la presqu’île de Montagnès. Les élevages ont été suivis par la Station d’Aquaculture de Saint-Vincent.

Les élevages de prégrossissement ont été réalisés dans des clayettes grillagées disposées sur des tables hors-sol, sur l’estran au niveau de marée 0,5-0,7. Ces prégrossissements ont été marqués en général par de bonnes survies (90%) mais une croissance faible.

Les élevages de grossissement se sont faits selon la technique pratiquée en Europe : parcs sur estran clôturés par un grillage anti-prédateurs, semis des juvéniles de palourdes sur le fond, recouvert d’un filet de protection anti-fouisseurs posé sur le sol. Tous les essais se sont caractérisés par de très mauvaises survies, que l’on peut attribuer entre autres hypothèses, à l’inadéquation de la qualité des sédiments, aux fortes températures estivales à marée basse, aux dessalures générées par les rivières Ouenghi et Tamoa, et aussi d’un point de vue général à la faible capacité trophique du milieu.

Les essais d’élevage ont cessé en 1984.

Bénitiers ( Tridacna crocea, Tridacna gigas, Tridacna maxima, Tridacna squamosa, Hippopus hippopus) : 

En 1992, une subvention de 2 000 000 cfp de la CORDET a été accordée à l’Ifremer afin d’initier les premiers travaux en Nouvelle-Calédonie sur ce mollusque. Le but était de suivre la croissance du bénitier géant ( Tridacna gigas), à partir de juvéniles réintroduits des pays voisins. Face aux risques sanitaires encourus, il a été décidé de changer les objectifs et d’acquérir les compétences en écloserie pour produire du naissain local.

Une mission aux Iles Salomon a permis d’acquérir la technique et contrairement à l’huître de roche, l’induction de la ponte et l’obtention de larves prêtes à se fixer ont été relativement aisées ; par contre, la phase de fixation est restée délicate les 2 premières années.

En 1995, les efforts ont porté leur fruit puisque 25 000 juvéniles d’ Hippopus hippopus ont été produits et ont permis l’ensemencement de différents sites.
En 1996, toutes les espèces de bénitiers présentes dans le lagon calédonien ont été testées. Les 4 du genre Tridacna et l du genre Hippopus. Des pontes ont été obtenues sur toutes les espèces mais seuls des juvéniles de T. crocea, T. maxima et H. hippopus ont été produits (respectivement 300, 40 000 et 600). En 1997, quelques 8 000 à 10 000 petits T. squamosa d’une taille moyenne variant de 0,3 cm à 1,2 cm ont été produits.
En grossissement, les premiers élevages en cages en bord de mer ont montré des croissance de 3 à 4 cm par an. La taille moyenne des animaux varie de 10 à 12 cm en fonction du lieu.

En 1997, de nouveaux sites ont été testés : le premier situé en Baie d’Oro à l’Ile des Pins, le second en Baie d’Uié dans le sud de la Grande Terre. Les croissances et survies sont variables d’un site à l’autre mais dépendent beaucoup de l’entretien des cages, de la qualité de l’eau et de la prédation.

En 1998, une dernière production de juvéniles d’ H. hippopus a été effectuée et la démonstration étant faite de la faisabilité zootechnique à l’échelle expérimentale, le projet a été interrompu.

Plusieurs questions restent à élucider :

  • quel débouché commercial peut on espérer pour les différentes espèces ?
  • quelle taille est la plus rentable commercialement ?
  • sous quelle forme peut-on les commercialiser (entier, chair uniquement, muscle…)?
  • existe t’il un débouché pour la coquille ?

 

 

 

Bénitiers : à gauche larve pédivéligère de bénitier, au centre ponte de Tridacna Gigas (libération de spermatozoïdes), à droite jeunes Hippopus hippopus.

Pectinidés (  Aequipecten flabellatus, Amusium japonicum balloti, Chlamys senatoria, Comptopallium vexillum) :

Une campagne de prospection "pectinidés" a été conduite entre le 15 mai et le 12 juin 1984 par l'Ifremer (D. Buestel et C. Mingant) en association avec le Centre Océanologique de Marseille (B. Thomassin).

Le premier but de cette campagne de prospection était de compléter les quelques observations disponibles qui faisaient état de densités de pectinidés vivant dans certains types de fonds du lagon (plaine lagonnaire, biocénoses des sédiments grossiers et moyens riches à épibioses d'algues, de spongiaires et d'échinodermes sous influence des courants de fond) plus importantes que celles observées dans d'autres environnement lagonnaires et récifaux bien connus tels que Tuléar au sud-ouest de Madagascar, Mayotte ou encore la Polynésie française.

Le second objectif du programme était de tester les possibilités de valorisation envisageable de stocks et gisements naturels présents en Calédonie sous deux voies :

  • mise en oeuvre de pêcheries artisanales
  • exploitation de techniques d'élevage aquacole comme cela se fait au Japon (captage de naissain et grossissement de l'espèce Patinopecten yessoensis.

Cette mission était financée sur crédits CORDET (Ministère des DOM/TOM), du CNEXO (futur Ifremer) et avec le support technique et logistique de l'Orstom et du Centre Océanologique de Marseille.

La campagne de prospection s'est située dans le lagon à proximité de Nouméa dans une zone considérée comme représentative de zones potentiellement aptes à une valorisation située entre l'Ilôt Maître au Nord Ouest, le Récif Goéland à lOuest, les 4 bancs du Nord à l'est.

Les techniques employées ont concerné :

  • la caméra vidéo,
  • le comptage en plongée autonome,
  • l'échantillonnage à l'aide de drague de pêche.

Les espèces récoltées par ordre décroissant d'abondance sont :

  • Chlamys senatoria (Gmelin), comme espèce principale,
  • Comptopallium vexillum (Reeve), Aequipecten flabellatus (Lamark) et Amusium japonicum balloti (Bernardi) comme espèces accessoires,
  • Juxtamusium coudeni (Bavay) et Gloripallium pallium comme espèces rares (ce dernier étant en fait commune au niveau de la barrière récifale).

Du point de vue de la qualité les pectinidés calédoniens sont tout à fait comparables aux coquilles St Jacques et petoncles que l'on trouve sur le marché mondial et constituent des produits très appréciés. Dans l'ordre de qualité gustative on trouve Amusium ,  Aequipecten,  Comptopallium et  Chlamys avec l'avantage pour Amusium d'être le plus gros.

En termes d'exploitation par pêche :

  • Cas des Amusium et Aequipecten : densités trop faibles dans la zone prospectée pour toute tentative d'exploitation. Des zones beaucoup plus favorables pour Amusium se situent dans le lagon Nord-Est de la Calédonie.
  • Cas de Comptopallium : quelques zones intéressantes mais très ponctuelles, non exploitables par drague. La seule récolte possible serait une récolte par plongée de type récréatif.
  • Cas de Chlamys senatoria : il est bien présent sur la zone prospectée Le tonnage évalué sur les 6500 ha de la zone dépasse les 100 tonnes. Cependant les densités restent basses et les rendements de dragage faibles.

En termes d'exploitation par aquaculture :

  • Il apparaît dans les conclusions de l'étude que pour Chlamys senatoria notamment, qu'il serait intéressant de tester les possibilités d'aquaculture à partir de captage en milieu naturel (collecteurs de type japonais, matériaux supports comparables aux tubes d'Eunice sur lesquels se fixent ces animaux...) et d'élevage sur différents supports à l'abri des prédateurs. Une étude simple des potentialité de captage et d'analyse des vitesses de croissance en élevage a été préconisée.