Bio-prospection et biodiversité de micro-organismes des milieux extrêmes des lagons de la Nouvelle-Calédonie

Initiateur de ce projet et notamment porteur du projet MOM 2009-2011, le laboratoire de Biotechnologies et Molécules Marines de l'Ifremer Brest (LBMM), avec le soutien de l'UR Lagons, Ecosystèmes et Aquaculture Durable de Nouvelle-Calédonie s’est associé à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie (IPNC) pour réaliser, de 2009 à 2014, un projet visant la bio-prospection des micro-organismes des milieux atypiques néo-calédoniens.
Financements : MOM (2009-2011 et 2012-2014)
Rappel du contexte et travaux réalisés

Contexte

Les microorganismes marins (bactéries et micro-algues) représentent la plus grande part de vie dans les océans mais on estime que 99% d’entre eux sont encore à découvrir. Or, les avancées dans le domaine de la biologie moléculaire et de la microbiologie rendent désormais possibles l’étude et l’utilisation de ces microorganismes marins. Négligés jusqu’à présent, ces organismes pourraient donc bien être le principal gisement de nouvelles molécules des prochaines décennies.

La diversité des milieux et des habitats marins se reflète dans la diversité des organismes et de leurs métabolites.L’exploration des écosystèmes atypiques (sédiments des fonds sous-marins, les lagunes hyper salines, tapis microbiens, etc…) a permis la découverte de microorganismes qui se sont rapidement affichés comme les acteurs principaux de la vie sur des milieux peu propices. En réponse à des habitats atypiques ces microorganismes ont, au cours de l’évolution, développé des moyens d’adaptations très variés afin non seulement de survivre mais également de s’adapter et de proliférer dans des niches écologiques variées. Les propriétés singulières de certaines de ces biomolécules ont très vite attiré l’attention des opérateurs des biotechnologies. Cette biotechnologie des « extrêmophiles » a pour objectif de rechercher et d’exploiter ce nouveau gisement de ressources naturelles en biomolécules, notamment les enzymes, les biopolymères et les métabolites secondaires. La recherche sur les bactéries des milieux atypiques a déjà prouvé son potentiel notamment avec la découverte d’enzymes thermostables (ex : les polymérases issues de bactéries hyper-thermophiles) mais également avec les biopolymères marins.

Les polymères sont des structures complexes formées d’une répétition de molécules, que l’on retrouve chez les bactéries sous forme d’EPS (ExoPolySaccharides) ou sous forme de PHA (PolyHydroxyAlcanoates). Les EPS sont constitués d’enchaînements de sucres (oses) et sont produits par les bactéries pour les protéger de variations et/ou agressions du milieu extérieur mais jouent aussi un rôle dans la captation des nutriments. Les PHA, quant à eux, sont des structures de réserve formées d’enchainements de liaisons ester de longueur variable que l’on retrouve sous forme de granules à l’intérieur des bactéries.

 

 Les applications de ces biopolymères sont nombreuses, touchent de nombreux secteurs industriels et répondent pour certaines d’entre elles à des demandes sociétales fortes.Les biopolymères bactériens ont montré leur potentiel de valorisation dans des domaines tels que la santé avec la recherche de métabolites secondaires bioactifs ayant des applications dans les domaines de l’oncologie, du traitement des maladies neurodégénératives mais aussi dans le domaine des biomatériaux. En cosmétique, les biopolymères peuvent être utilisés pour leur principes actifs (antirides, hydratant, cicatrisant) ou comme agent de texture (gélifiant). La recherche de biopolymères s’insère directement dans une politique liée à la préservation et à la protection de l’environnement (problématiques de rejet de CO2 et de diminution de la ressource fossile, bio-rémédiation, bio-détoxification de métaux lourds…) mais également comme substitutifs à un ensemble de polymères d’origine pétrochimique (ex : colles et adhésifs). Les polymères bactériens présentent ainsi des avantages non négligeable tels que l’absence de dépendance vis à vis des aléas climatiques, écologiques et politiques ou encore les possibilités d’agir sur les conditions de culture en vue d’optimiser la production mais aussi de modifier le polymère produit. Les exemples ne manquent pas pour illustrer le potentiel des polymères bactériens : xanthane, acide hyaluronique.... Dans l’optique de la mise en évidence de nouveaux microorganismes producteurs, les environnements atypiques se présentent donc comme un champ d’investigation privilégié de nouvelles biomolécules aux propriétés originales.

Par sa situation géographique, son climat, la variété de ses faciès côtiers et leur étendue, la richesse de sa biodiversité marine, et l’originalité de sa formation géologique, la Nouvelle-Calédonie présente un ensemble d’atouts notamment dus aux milieux extrêmes marins qu’elle possède. En effet :

  • elle est en zone intertropicale mais à la limite de la zone tempérée, avec un ensoleillement fort,
  • elle possède une zone intertidale développée (1,8m de marnage) et des faciès intertidaux très diversifiés et uniques (platiers, herbiers, algueraies, marais maritimes à mangroves, vasières et tannes sursalées…),
  • ses substrats géologiques en mer sont le siège d’une activité hydrothermale ultrabasique très peu profonde donc accessible.

Cet ensemble d’éléments combinés font que la Nouvelle-Calédonie est dotée de milieux naturels littoraux, côtiers et marins au sein desquels existent des gradients thermiques, d’hypersalure/dessalure, de chocs UV, de PH, d’évaporation, d’inondation/exondation…. Ceux-ci déterminent des habitats atypiques dans lesquels les micro-organismes doivent développer des stratégies adaptatives et de défense potentiellement uniques.

Travaux réalisés

Collection

L’étude de la biodiversité microbienne et son exploitation biotechnologique sont passées nécessairement par la constitution d’une collection de ces microorganismes (souchothèque). A partir de celle-ci, de nombreuses études pourront être engagées notamment sur la recherche de bio-polymères.

Une première campagne de prospection, réalisée en avril 2010, a permis le prélèvement de 205 échantillons qui ont aboutit à une collection de 493 isolats bactériens. En 2011, une seconde campagne de prospection a permis le prélèvement de 56 échantillons aboutissant à la collection de 271 isolats bactériens. A ce jour, la collection de bactéries marines des milieux atypiques calédoniens est constituée de près de 770 isolats conservés dans les locaux de l’IPNC et de l’implantation Ifremer à St-Vincent.

Biopolymères

Le criblage de la seconde collection a permis d’identifier un nombre significatif de souches aptes à produire des EPS. Ainsi sur l’ensemble de la collection, 54,8% des souches ont la capacité de produire des EPS sur milieu sélectif parmi lesquelles 43 souches ont été définies à haut potentiel de production d’EPS (cf. tableau ci-dessous). Ces 43 souches ont été choisies pour caractérisations et identifications.

 

Potentiel de production d'EPS

Total

moyen

fort

très fort

Nombre d'isolats

219

161

43

423

Pourcentage

28.5

20.8

5.5

54.8

Dans le but de réaliser une production des polymères en fermenteur, les optimums de croissance des 43 souches retenues ont été définis (pH, température, salinité). 10 EPS ont pu être produits et caractérisés par des méthodes colorimétriques dans un premier temps, afin d’évaluer le degré de pureté de l’échantillon, et par analyse en chromatographie phase gazeuse dans un deuxième temps afin d’évaluer la nature et la proportion des sucres composants ces EPS. Les résultats obtenus ont montré des compositions variables et originales en fonction des souches avec notamment la présence en grande quantité d’acides uroniques et d’hexosamines. Cette composition originale rendrait ces EPS valorisables dans différents secteurs industriels tels que la cosmétique (ressemblance structurale avec l’acide hyaluronique utilisé comme antiride), dans le secteur minier (pour la captation et/ou extraction des métaux lourds) ou encore dans le milieu de la santé (production de molécules telles que l’héparine).

Concernant les PHA une seule souche sur toute la collection a été identifiée par biologie moléculaire comme productrice de PHA. Or la structure des PHA à moyenne chaine est extrêmement dépendante du substrat carboné qui est ajouté dans le milieu. Les tests réalisés sur cette souche ont montré qu’elle était capable de produire au moins 3 types de PHA avec un arrangement structural régulier et original ce qui est rare dans ce type de production où les bactéries sont peu tolérantes à l’apport de différents substrats. Il s’agit donc également d’une découverte intéressante dans le domaine des biotechnologies. Des analyses complémentaires ont été réalisées afin d’optimiser le rendement de production et de diversifier les substrats carbonés.

Bilan et suite donnée

Cette collaboration étroite Ifremer / IPNC a aboutit à un transfert du savoir-faire de Ifremer Brest (LBMM) en Nouvelle-Calédonie (IPNC, Ifremer NC) en partenariat avec l’Université de la Nouvelle Calédonie et à un co-encadrement du doctorant Lefteri Chalkiadakis.

Pendant cette période 2009-2014, les activités relatives à la production/caractérisation/valorisation des biopolymères (EPS/PHA) ont été encadrées par le laboratoire Ifremer/BMM de Brest (http://wwz.ifremer.fr/polymeres_marins ).

Aujourd'hui, l'activité "Biopolymères" est menée au sein de deux laboratoires à l'Ifremer : le laboratoire de Microbiologies des Environnements Extrèmes LM2E de Brest ( http://wwz.ifremer.fr/umr6197 ) et le laboratoire Ecosystèmes Microbiens et Molécules Marines ( EM3B) de Nantes ( http://wwz.ifremer.fr/webtv/Thema/Ressources-halieutiques/EM3B ).

Le projet est terminé en 2014 et le doctorant poursuit ses travaux de recherche en préparant une valorisation industrielle des biopolymères produits en créant une startup avec l'appui de l'incubateur d'entreprises de l'Agence de Dévellopement Economique de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL) et l'IRD, avec le soutien scientifique et technique de l'Ifremer.